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    La "Joy Foot Box" ou l'art d'être zen...

     

    — Il n'y a plus de grand Feliway en spray, Nathalie ?

    — Non, j'en ai vendu deux coup sur coup. J'en ai recommandé une demi-douzaine, ainsi que quelques diffuseurs, on les aura demain.

    — Quelle bonne idée tout de même, que ces phéromones d'apaisement, soupira Mélanie.

    La jeune vétérinaire s'était figée devant l'étagère à médicaments, les yeux dans le vague. Elle reprit vivement :

    — Tu te rends compte, s'il en existait pour humain ! C'est vrai quoi ; il en existe pour chat, chien, cochon, cheval, lapin, poule... Pourquoi pas pour l'homme ?

    Nathalie s'esclaffa.

    — Tu te vois dégainer un pulvérisateur de ta poche dès qu'un client est mécontent ou stressé ?

    — Mais oui ! Enfin, non, on pourrait imaginer quelque chose de plus discret, un diffuseur, ou bien...


    La "Joy Foot Box" ou l'art d'être zen...

     

    — Je ne suis pas content du tout, mademoiselle. J'ai suivi le traitement pas à pas, et Daisy se gratte toujours !

    Daisy, un West Highland Terrier (race canine communément et impunément nommée"Westie", gratifiée par les fées au berceau d'un caractère joyeux et affectueux, et par la méchante sorcière d'une probabilité voisine de cent pour cent de développer une sérieuse allergie chronique) tortilla du derrière avec joie. Mélanie commençait son examen en lui caressant la tête, appuyant discrètement du pied sur la pédale du Joy Foot Box (qui n'était pas un appareil de massage podal, mais un diffuseur dernier cri de phéromones humaines aux objectifs variés : "Joy Foot Box, phéromones pour chaque occasion, vos clients seront à vos pieds, et vous retrouverez la raison !").

    Une bouffée apaisante, invisible et inodore, jaillit discrètement des quatre angles de la table de consultation. Monsieur Dalibert, le propriétaire anxieux de Daisy, battit des cils quelques instants et reprit mollement :

    — Oui, elle se gratte toujours...

    Profitant de l'accalmie, Mélanie lança l'offensive :

    — Quand on vous dites qu'elle se gratte toujours : a-t-elle continué à se gratter en permanence après le traitement d'il y a 2 mois, ou avez-vous constaté un mieux ?

    — Pendant le traitement elle ne se grattait plus du tout. Mais ça a recommencé...

    — Combien de temps après ?

    Les yeux de M. Dalibert papillonnaient dans le vague et Mélanie fronça les sourcils : elle avait encore eu le pied trop lourd avec la pédale ! Au tout début elle n'avait pas appliqué les conseils du fabricant – celui de se pulvériser une pression de “Négativeur Total” dans chaque narine toutes les 3 heures – et appréciait mieux son dosage. Mais il était quasiment impossible de travailler correctement sous l'influence permanente de phéromones diverses et variées, et Mélanie était passée à l'usage du "Spray-Anti-Tout", comme le nommait Nathalie.

    Avant de reposer sa question, elle sélectionna, du bout de sa chaussure à fine semelle "Souliers Ultra Fin Sensations Ultra Fines", la phéromone "Concentration A tout bon". Le regard de son client s'éclaira d'un coup, alors qu'il se redressait, le menton levé, un pli résolu aux lèvres.

    — Combien de temps après l'administration du dernier comprimé Daisy a-t-elle recommencé à se gratter ?

    — Trois semaines, deux jours, treize heures et vingt secondes, Docteur !

    Mélanie cilla et jeta un regard réprobateur au clavier à ses pieds.

    — Hum. N'avions-nous pas convenu d'un contrôle téléphonique au moment du passage à la corticothérapie alternée – quand vous ne donniez le traitement qu'un jour sur deux – afin d'évaluer la situation ?

    — Tout à fait. Je me rappelle très bien ! C'était écrit sur l'ordonnance !! Noir sur blanc !!!

    M. Dalibert hochait vigoureusement du menton, une lueur fanatique dans les yeux, et Mélanie effleura de nouveau la touche "Paix Douceur et Harmonie" du bout de l'orteil droit.

    — Et avez-vous essayé de nous téléphoner ?

    M. Dalibert haussa les épaules, un léger sourire aux lèvres alors qu'il caressait la tête ébouriffée de sa petite chienne.

    — Elle allait bien, alors j'ai pensé que c'était inutile.

    Mélanie leva les yeux au ciel mentalement en enfonçant rageusement la pédale "Responsabilisation Sans Rémission".

    — Votre chienne souffre d'une atopie sévère, monsieur. Elle ne guérira jamais de son allergie, vous devez rester vigilant et suivre l'ordonnance à la lettre.

    M. Dalibert eut un sourire peiné et déglutit.

    — Bien. Nous allons reprendre un traitement – moins lourd cette fois-ci – et vous n'oublierez pas d'appliquer chacune des consignes.

    La jeune vétérinaire marqua un temps d'arrêt et embraya la pédale "Mémoire Moirée". Elle reprit ensuite, tout en prélevant une petite quantité de liquide d'un flacon :

    — Traitement anti-parasitaire externe toutes les 3 semaines, alimentation hypoallergénique stricte pendant plusieurs avant mois d'évaluer l'intérêt de poursuivre ce régime alimentaire (elle injecta le contenu de la seringue à Daisy, qui remua la queue avec approbation), lutte contre la poussière et les acariens, bains fréquents avec des shampoings traitants...

    Mélanie s'interrompit. Le regard de M. Dalibert était devenu fixe et inquiétant. Ses pupilles étaient dilatées, les iris de ses yeux exorbités réduits à deux anneaux bleu clair. Il poussa un petit grognement et tendit la main, enserrant la poignet de la jeune femme avec fermeté. Daisy, ravie par ce nouveau jeu – Mélanie tirant, d'abord fermement, puis vigoureusement, sur sa main pour se libérer – se mit à aboyer avec fougue, sans ménager ses effets.

    La porte de la salle de consultation s'entrouvrit, et le visage réjoui de Nathalie apparut.

    — Veux-tu que je m'occupe du règlement de M. Dalibert, Mélanie ?

    La diversion permit à la jeune femme de se dégager, et elle se hâta d'aller s'asseoir au bureau.

    — Oui, je te remercie, Nathalie. Je vais envoyer l'impression de la facture et de l'ordonnance de ton côté. Au revoir, monsieur, ajouta-t-elle avec un sourire contraint.

    Dix minutes plus tard, Nathalie réapparut en gloussant.

    — Alors, encore un mauvais dosage ?

    — Tu peux te moquer ; c'est pas facile à faire fonctionner ce truc !

    — C'est parce que tu fais trop de mélanges. Le délégué du labo nous a prévenues : l'association de phéromones peut créer des effets indésirables.

    Le sourire de Nathalie s'élargit et elle ajouta :

    — J'ai l'impression que tu as concocté une belle petite phéromone sexuelle pour ce brave M. Dalibert ! Il était très énervé et tremblait même en rédigeant son chèque. Il m'a demandé ton numéro de téléphone – j'ai refusé bien sûr – et il a insisté, essayant de m'arracher le nom de tes fleurs préférées, de tes chocolats préférées, de ta marque de lingerie préférée...

    — Stop ! protesta Mélanie en levant une main. Arrête ça où je te vaporise d'une dose de cheval de "Zénitude Complète, Agressivité Surfaite". J'espère que l'effet ne tardera pas à se dissiper, marmonna-t-elle encore. Je ne voudrais pas voir débarquer Mme Dalibert à la clinique, l’arme au poing et l’insulte à la bouche...



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    - Tu as rendez-vous avec M. Moineau ce soir à 22 h, pour vacciner son chat, déclara Nathalie d'un ton d'excuse.

    - Encore... soupira la jeune vétérinaire en repoussant une mèche de cheveux échappée de sa queue de cheval. Je ne comprends pas pourquoi il ne vient pas pendant les heures d'ouverture ! Ce n'est pas comme si on fermait à 16 h. Et la clinique est ouverte six jours sur sept, quand même.

    - Je sais, je sais, admit Nathalie d'une voix apaisante. Mais comme il est prêt à payer le tarif d'urgence...

    Elle haussa les épaules en signe d'impuissance.

    - Mouais. Et je suis aussi payée en conséquence, je sais. Mais moi à 22 h je dors ! Pour une vraie urgence, bon, d'accord...

    Nathalie lui jeta un regard dubitatif. Elles étaient amies sur facebook et elle avait la preuve que Mélanie était bien souvent encore éveillée passé 23 h.

    - Il a peut-être une maladie qui l'empêche de sortir à la lumière du jour ? Tu sais comme ces malheureux qui ont sans doute été à l'origine du mythe des loups-garous ?

    - La porphyrie ? répondit Mélanie dans un sourire. Tu dois avoir raison ; si ça se trouve M. Moineau est un vampire !

     

    chauve-souris.jpg

    - Tu as plusieurs rendez-vous en début de nuit, avant la castration du jeune chat-huant de Mme Dubois, commença Nathalie, mais tu devrais avoir fini avant minuit.

    - Une opé sur un chat-huant si près de la pleine lune, merci du cadeau ! protesta Mélanie. Il va être hyper agressif ! Bon sang, je lui avais expliqué lors de sa dernière consultation vaccinale de prendre rendez-vous il y a quinze jours ou d'attendre le mois prochain.

    - Tu sais comment elle est... De toute façon ce petit tigre est bourré de tranquillisant et muselé, tu n'auras qu'à lui faire une piqûre dans les fesses et hop !

    Mélanie fit la moue.  Ça aurait été tellement plus simple et plus humain de faire ça de jour, plus tôt dans le mois, quand le petit carnivore était encore repu par son repas mensuel de viande crue. Mais non, certaines personnes n'écoutaient jamais rien !

    - Bon courage, docteur, reprit Nathalie avec un dynamisme écoeurant. Je vais donner leur biberon de ciment aux gargouillets et puis je file ! Ma nourrice ne plaisante pas avec les horaires, surtout quand la pleine lune approche. Ah oui, j'allais oublier ; M. Dumollet a encore appelé pour recommander des vitamines spécial plumage pour son phénix. J'ai beau lui dire qu'à ce stade du cycle il n'y a rien à faire, il s'obstine toujours. Bon, ça ne lui fera pas de mal à Titi de toute façon... J'ai reçu le flacon, il est rangé sur l'étagère.

    Les quelques nuits avant et après les pleines lunes étaient toujours les plus chargées, les clients-patients de la clinique étant alors plus à même de se transformer à volonté et d’exposer leurs problèmes. Les nuits de pleine lune la clinique était fermée et solidement barricadée, tandis qu’une des patrouilles de loups-garous de la ville - formées des meilleurs éléments - arpentait sans relâche les rues du quartier.   

    Le téléphone sonna et Mélanie décrocha, s’arrachant à ses pensées.

    - Bonsoir, clinique vétérinaire de la Chimère, que puis-je pour vous ? 

    - Bonsoir mademoiselle, fit une voix étouffée et haut-perchée. Pourrais-je avoir une consultation rapidement, s’il vous plaît ?

    - Pour quel genre de problème, monsieur ?

    - Hum... c’est pour mon sabot avant gauche. Il doit y avoir quelque chose de coincé, ça me lance terriblement ; j’ai bien essayé les bains de pieds, mais ça ne passe pas !

    - Il ne faut pas attendre en effet avec ce genre de symptômes. Mais vous n’êtes pas au bon endroit, monsieur. La clinique de la Chimère n’accueille que les animaux de compagnie de petite taille et les personnes à affinité animale mais à dominance humaine.

    - Et bien ! Je ne vous félicite pas pour cet ostracisme, mademoiselle ! C’est outrageant, je vais joindre les autorités !

    Mélanie retint un soupir exaspéré.

    - Ce n’est pas une question d’ostracisme, monsieur, mais tout bonnement d’équipement de nos locaux. Ce sont nos confrères de la clinique d’équine qui pourront vous recevoir. Je vais vous donner leur numéro ; vous avez de quoi noter ?

    La soirée se poursuivit tranquillement. Mélanie reçut M. Pitra, vampire de son état et dont les performances de vol de sa forme chauve-souris ne lui donnaient pas satisfaction. Le problème était que M. Pita souffrait d’un embonpoint manifeste - gagné par un abus compulsif de bonbons au sang et de sorbet à l’hémoglobine - et que le ventre arrondi de sa chauve-souris nuisait terriblement à son aérodynamisme. Mélanie prit le temps d’être diplomate, tournant autour du pot, proposant quelques échantillons de la nouvelle gamme de friandises au sang hypocalorique. Mais M. Pita quitta malgré tout la clinique d’un air contrarié, resserrant dramatiquement les pans de sa cape de velours rouge framboise autour de son corps replet.

    Ce fut ensuite le tour de Mme Miellot, une brave femme dont la chute de poils lors de ses transformations en cochon d’inde, chaque nuit de pleine lune (elle ne cherchait jamais à se transformer les autres jours du mois, quel intérêt voyons ?) perturbait beaucoup son âme de ménagère. Pendant des années ce fut M. Miellot qui la brossait longuement durant cette nuit-là, devant la télé, enchaînant les programmes de la soirée. Mais depuis la mort de son époux, Mme Miellot n’avait plus personne pour l’aider à brosser son corps velu de 67 kilos. Heureusement le laboratoire Atoupoil venait de sortir un modèle de grattoir-démêloir horizontal sur coussin pneumatique, et Mme Miellot passa commande avec un soupir de soulagement, allant jusqu’à accepter de se transformer brièvement afin que Mélanie vérifie sa santé animale, en particulier buccale.

    Après quelques autres consultations, Mélanie put s’occuper du pauvre Tigrou, qui feulait doucement dans sa cage, ses yeux jaunes lançant des éclairs, sa double queue en panache s’agitant furieusement - malgré la prédicamentation qu’il avait reçu. Il était toutefois assez ramolli et Mélanie put lui administrer son anesthésique sans plus de dommage qu’une grosse griffure à l’avant-bras.

    Minuit approchait quand elle put enfin fermer la clinique. Tigrou avait bien dormi durant son opération et s’était réveillé en douceur pendant que la vétérinaire nettoyait et rangeait le matériel. Profitant de son état encore ébrieux, elle le plaça dans sa vaste cage de transport, afin de faciliter son départ le lendemain matin. L’ensemble serait très lourd, mais Mme Dubois viendrait accompagnée de son petit-fils, un jeune loup-garou tout en muscles.

    Après une dernière caresse aux xoumes de la clinique, qui s’illuminèrent en ronronnant à bas bruit, Mélanie sortit dans le jardin où Plume, son dragon commun, l’attendait patiemment. Les dragons communs étaient de taille modeste (de celle d’un très grand chien), se montraient bien incapables de cracher la moindre flamme, et leurs écailles présentaient une couleur brun-grisâtre peu attrayante. Mais ils étaient également robustes, joyeux et très propres, donc parfaitement adaptés aux besoins d’une jeune femme habitant en appartement.

    Mélanie enfila sa combinaison de vol puis sella Plume, le gratifiant de compliments ridicules tout en frottant son doux museau et en grattant la naissance de ses ailes caoutchouteuses, puis l’enfourcha, prête à savourer le court vol qui la séparait de son foyer.

     

    La nuit tous les chats sont gris





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    La belle et la bête


    - Voici Agrippine, déclara Melle Chivas en déposant la boîte de transport sur la table de consultation. Ne la stressez, elle déteste être enfermée. Utilisez la douceur et surtout prenez votre temps !

    Melle Chivas recula d'un pas, rejetant sa longue chevelure blonde par-dessus son épaule et s'emparant de son téléphone portable qui chantait la traviata depuis quelques instants.

    - Schrrr, schrrr, schrr, fftt, fttt, ffftt, commença Agrippine, le regard fixe, les yeux étrécis et les dents bien en vue.

    - Oui, je suis chez le vétérinaire avec Agrippine, sussura la belle... Non, je ne vais pas en avoir pour longtemps, elle est en pleine forme, c'est juste pour son vaccin...

    Mélanie avança prudemment la main vers la boîte.

    - Schrr, schrr, frrtt, frrtttt, rrhhh, reprit de plus belle Agrippine tout en donnant de violents coups de patte dans la petite grille qui fermait sa prison de plastique.

    Mélanie, qui n'était pas née de la dernière pluie, retira prestement sa main.

    - Que se passe-t-il ? demanda Melle Chivas en fronçant les sourcils. Qu'attendez-vous pour l'examiner ?

    Mélanie soupira.

    - Nous avons un problème, madame. Je ne vais pas pouvoir sortir Agrip...

    - Comment ça, un problème ? Vous êtes vétérinaire, non ? Vous devez bien savoir comment vous y prendre pour apaiser les animaux ? Vous lui faites peur, voyons ! Ma pauvre chérie, ma douce, ma belle, ne crains rien, ce sera bientôt fini, continua-t-elle d'une voix sensément apaisante à l'attention du petit fauve - sans toutefois y mettre les doigts.

    - Les chats ont parfois ce genre de comportement, reprit vaillamment Mélanie, même les plus paisibles à la maison. On parle alors de dilatation du champ d'agression, je vais vous expliquer ce qu'il...

    - De grâce, ne m'expliquez rien ! Mais dépêchez-vous, j'ai mon cours de yoga dans une heure. Sortez-là et vaccinez-là, qu'attendez-vous donc ?

    - Si j'ouvre cette porte, elle va jaillir comme un boulet de canon, toutes griffes dehors, et essaiera de mordre et de lacérer toutes les personnes qui s'approcheront d'elle, vous y compris. Ce sera épouvantable pour la récupérer, elle sera morte de peur. Je vais devoir...

    - Je ne comprends pas où est le problème, interrompit sèchement Melle Chivas, sans toutefois s'approcher de la table où Agrippine feulait maintenant avec ardeur. Le Dr Martin n'a jamais eu aucun problème les années précédentes, elle.

    - Elle la sortait de sa boîte ? s'effara Mélanie.

    - Certainement. Enfin, je l'imagine ; elle l'emmenait derrière cinq ou dix minutes et me la ramenait ensuite.

    Mélanie soupira de soulagement.

    - C'est exactement ce que j'allais vous proposer ! Je vais m'en occuper avec Nathalie, finit-elle en jetant une serviette sur la boîte de transport, masquant ainsi sa vue au chat qui, revenu à la vie sauvage, s'étranglait d'indignation et de rage à sa vue.

    Un quart d'heure plus tard, Agrippine était vaccinée - mais pas examinée - et Melle Chivas avait répondu aux questions d'usage.

    - Voilà, Agrippine est tranquille jusqu'à l'année prochaine, commenta Mélanie en raccompagnant sa cliente. Mais vous savez, en cas de problème de santé, il faudra la tranquilliser pour la soigner ; on ne pourra jamais rien faire comme ça.

    - Mais non, voyons, rétorqua Melle Chivas. Je prendrais rendez-vous avec le Dr Martin, voilà tout !




    La courte journée d'hiver touchait à sa fin. Dans la salle d'attente, une demi-douzaine de propriétaires patientaient, feuilletant quelques journaux, murmurant dans leur téléphone ou dodelinant de la tête au rythme de la musique de leurs écouteurs.

    La réceptionniste, qui portait ce jour-là son costume de petit lapin, avait reçu les dépositions pour chaque animal et transmis les données à l’assistante.

    Au fond de la clinique, dans la Grande Salle, Nathalie, vêtue d'un justaucorps noir et de collants pailletés, jouait de la flûte pour tranquilliser les six chats répartis dans les box qui ceignaient la pièce. Les animaux semblaient à l'écoute, mais leurs corps souples restaient tendus, comme prêts à l'attaque.

    Finalement, Mélanie entra à son tour, vêtue de cuir de Cordoue, chaussée de longues bottes étincelantes, les cheveux enroulés autour de la tête. Elle tapota négligemment ses chevilles avec la manche de son long fouet, indiquant d'un signe de menton à Nathalie qu'elle était prête. L'assistante déclencha aussitôt le mécanisme de libération des box, avant de s'éclipser prestement. Les six portes glissèrent sans un bruit et six petits corps lestes et velus sautèrent au sol, leurs queues battant avec méfiance, leurs pupilles dilatées dans la pénombre.

    - Immobilisation ! clama Mélanie en faisant claquer son fouet au-dessus des têtes félines.

    Les animaux feulèrent, ouvrant grand leurs petites gueules roses, mais obtempérèrent.

    - Saut ! jeta encore la jeune femme qui arpentait l'espace clos, son regard rivé sur les félins.

    Après quelques instants d'hésitation, les six chats obéirent encore, sautant sur les six hauts tabourets installés en cercle au centre de la pièce. Mélanie sourit lentement et commença à tourner autour de la petite assemblée féline. Derrière la fenêtre vitrée de son poste d'observation, Nathalie alluma les spots qui inondèrent la pièce d'une lumière crue.

    - Sages ! Pas bouger ! déclara Mélanie d'une voix atone tout en effectuant de petits gestes de sa main qui tenait le fouet, faisant onduler celui-ci comme un serpent.

    Les chats grognèrent encore un peu, mais restèrent là, assis, presque soumis. Mélanie ficha la poignée de son fouet dans son ceinturon clouté, puis ouvrit la sacoche fixée de l'autre côté de sa ceinture, son regard ne quittant pas les animaux un seul instant. Elle s'avança vers le premier animal, un chat européen noir, aux yeux jaunes et à la queue effilée.

    - Charbon, chat mâle castré de quatre ans, correctement vacciné et déparasité, fit la voix désincarnée de Nathalie. Poids de 4,3 kilos, comportement alimentaire normal, chasse mais n'ingère pas ses proies, joueur et câlin. Réponses négatives à toutes les questions du dépistage standard.

    Mélanie hocha la tête et s'avança sans hésiter vers Charbon.

    - Bouche ! Obéis !

    Dardant le regard de ses yeux jaunes sur elle, Charbon obéit, ouvrit grand la gueule, permettant l'examen rapide de sa cavité buccale. Il laissa ensuite la vétérinaire palper son corps entier, son offuscation seulement affichée par les mouvements vifs de l'extrémité de sa queue. Un son ténu et sourd émanait de sa poitrine, mais il se contint, jusqu'à l'injection vaccinale, où il feula subitement, tentant de se retourner.
    Le fouet claqua au-dessus de ses oreilles, et Charbon se tapit sur son siège, fulminant à bas-bruit.
    Mélanie continua de travailler, passant d'un animal à l'autre, les mains légères, le regard à l'affût et le fouet prompt à jaillir. Une demi-heure plus tard, le dernier animal examiné, et vacciné, elle se recula lentement, indiquant ainsi à Nathalie de se tenir prête.

    - Aux box !

    Sans hésiter, comme si l'idée leur était venu spontanément, les six petits fauves regagnèrent en hâte les ouvertures que Nathalie venait de faire apparaître. Les parois coulissèrent de nouveau,  puis les fonds de chaque box glissèrent à leur tour, dévoilant l'entrée du court tunnel qui menait à la - pour une fois bien-aimée - boîte de transport.

    Mélanie soupira, son visage s'éclairant enfin d'un sourire ; encore une fois, la séance avait été un succès, les fauves avaient été domptés, soumis à la volonté suprême de l'homme... au du moins de la femme.


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    Le grand classique


    - Alors, Mme Pichavant, dites-moi ce qui vous tracasse avec Pilou ?

    - Je ne sais pas trop, Docteur. Il n'est pas comme d'habitude, il dort tout le temps.

    - Il a faim malgré tout ?

    - Non, il n'a rien mangé depuis hier ! Je lui ai proposé des petits bouts de jambon, qu'il adore pourtant, mais il n'en a pas voulu !

    - Et boit-il normalement ? Ou plus peut-être ?

    La consultation se poursuivit comme à l'habitude, avec son lot de questionnement et de contre-questionnement. Une prise de sang révéla que Pilou, qui allait sur ses 14 ans, souffrait d'insuffisance rénale, une maladie classique des vieux chiens, grave mais que l'on pouvait soigner - à défaut de guérir.

    En rédigeant son chèque, Mme Pichavant, à la fois soulagée pour Pilou et d'une somme rondelette que la sécu ne rembourserait pas, soupira, un petit sourire aux lèvres :

    - C'est sûr, vous ne faites pas un métier facile, vous les vétérinaires. Les animaux ne disent pas où ils ont mal, eux !

    - Alors, mon Pilou, qu'est-ce qui te tracasse ?

    Pilou émit un petit grognement et pointa du museau Mme Pichavant, qui attendait en faisant les cent pas, de l'autre côté de la baie vitrée.

    - J'bois trop y parait, mam'zelle. Et du coup, forcé, j'pisse trop ! L'aut' nuit j'ai pas pu me r'tenir, et la pauvre chérie s'est patafiolée sur la mare dans la cuisine. L'avait l'derrière tout bleu, j'l'ai vu dans la salle de bains ! Ah, ma pauvre, c'est pas marrant d'vieillir, finit-il en se détournant, histoire de léchouiller un peu les parties de sa personne concernées par l'événement.

    - Bon, tu permets, Pilou, il va falloir que je t'examine de la cave au grenier.

    - Ouh, les papouilles, j'suis toujours partant, ma jolie ! Mais tu sais, y va falloir que tu me mettes cette saleté de truc qui serre à la patte et que tu m'tires un peu de sang. J'sais bien c'qui cloche, va. C'est mes vieux reins qui sont comme qui dirait quasiment grillés et qui battent de l'aile. Mais faut faire ton affaire avec la machine qui grelotte là-bas, sinon ma p'tite mémère elle y croira pas. C'est pas du genre à croire au r'bouteux, celle-ci, ah non, elle y croit à la science et tout le tintouin !

    Pilou eut sa prise de sang, ses médicaments et ses croquettes diététiques, et Mme Pichavant eut ses explications, sa facture et ses recommandations. Après une dernière caresse, pour laquelle Pilou se mit obligeamment dans la position du Chien Extrêment Satisfait Et Extrêment Détendu (les quatre fers en l'air et le ventre offert), le couple prit congé, s'esquivant par la salle d'attente, Mme Pichavant murmurant quelques mots de remerciements tandis que Pilou déclarait à Nathalie, avec un brin de suffisance :

    - Ces pauvres jeunesses, qu'est-ce qu'elles f'raient donc si on pouvait pas leur expliquer toute l'affaire, j'l'imagine pas !





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